Concert 3

Grandson classique

Véronique VALDÈS, mezzo-soprano
Lyda CHEN-ARGERICH, alto
Titta CARVELLI, piano

Dimanche 05 mars 2023 à 17 h, Salle des Quais à Grandson

Francis POULENC: La Voix humaine, opéra pour une voix et piano de Poulenc sur un livret de Jean COCTEAU, dans une mise en scène de Thierry PILLON.

Peu de compositeurs possèdent autant que Francis Poulenc la capacité d’être à l’aise dans tous les registres, aussi bien dans la musique d’église que dans celle de cabaret. La production lyrique du Français est à l’image de son esthétique qui se joue de toute orthodoxie: après l’opéra bouffe Les Mamelles de Tirésias adapté d’une pièce de Guillaume Apollinaire, Dialogues des Carmélites met en musique le drame d’une congrégation religieuse victime des excès la Révolution française. Peu de temps après, La Voix humaine demeure dans la tragédie, mais sous une forme et avec une action bien différentes.

D’abord une pièce de Jean Cocteau
La Voix humaine est d’abord une pièce de Jean Cocteau, créée à la Comédie Française en 1930. Une femme, qui ne porte pas de nom, est au téléphone avec son amant qui est en train de rompre avec elle. On apprend qu’elle a tenté de se suicider et que l’homme a une nouvelle compagne. Aux difficultés et à la tension de la communication verbale s’ajoutent les problèmes techniques de la ligne qui s’interrompt régulièrement et nécessite l’intervention de l’opératrice. Dans ce contexte, le téléphone devient «une arme effrayante». Les non dits et ce qu’on devine des propos de l’homme ne font qu’amplifier la solitude et le désespoir de la femme, impuissante et dont l’amour pour l’autre est aussi intact qu’au premier jour, comme le montre cette confession: «Voilà cinq ans que je vis de toi, que tu es mon seul air respirable, que je passe mon temps à t’attendre, à te croire mort si tu es en retard, à mourir de te croire mort, à revivre quand tu entres et quand tu es là, enfin, à mourir de peur que tu partes.»

L’opéra de Poulenc créé en 1959
Après le succès de Dialogues des Carmélites créé en 1957, l’éditeur de Poulenc lui suggère d’écrire un nouvel opéra dont le rôle se rait confié à Maria Callas. Le compositeur préfère cependant travailler avec Denise Duval, son amie et partenaire de longue date qui a participé à la création de ses deux précédents ouvrages lyriques. C’est ainsi que naît La Voix humaine qui reprend presque intégralement le texte de la pièce. La première prend place à l’Opéra Comique de Paris le 6 février 1959, sous la direction du chef d’orchestre Georges Prêtre et dans une mise en scène et des décors de Jean Cocteau lui même.

La musique vient amplifier l’intensité du texte, mais aussi combler certains vides laissés par l’absence physique de l’amant. Toutefois, Poulenc ne bouche pas tous les interstices et laisse au silence toute sa place, notamment au travers de multiples points d’orgue et de brusques ruptures. De nombreux passages sont privés de tout accompagnement, donnant dès lors d’autant plus de force aux interventions de l’orchestre [du piano]. Ce dernier matérialise par moment les sonneries du téléphone ou les coupures sur la ligne, mais le plus souvent sert de caisse de résonance à la collision des sentiments de la femme: nostalgie, désespoir, remords, culpabilité, séduction sont quelques uns des états que traverse l’héroïne. Celle ci s’exprime le plus souvent en un récitatif très proche de la voix parlée, le compositeur réservant les sections de chant lyrique pour les moment les plus intenses, comme lorsqu’est racontée la tentative de suicide.

Le génie de Poulenc

Le génie de Poulenc réside notamment dans sa capacité à assurer son unité et sa ligne à une partition émaillée d’innombrables ruptures et changements de ton. Certains motifs récurrents y participent, mais c’est surtout le rythme dramatique, haletant et sans répit, où la tension se voit sans cesse relancée par les interruptions et les changements de sujet de conversation, qui permet ce tour de force. La Voix humaine s’impose au final comme une sorte d’immense aria, un lamento poignant qui s’éteint dans la répétition d’un «je t’aime» prononcé d’abord «comme un cri» puis «dans un souffle», avant que le récepteur ne tombe sur le sol.

A l’heure de l’omniprésence du smartphone et de la communication virtuelle et à distance, le chef d’œuvre de Cocteau et Poulenc s’impose comme plus moderne et actuel que jamais. La lointaine présence de l’amant, réduite à une voix dans le récepteur, décuple la solitude de la femme et expose sans concession son impuissance, ainsi qu’elle le concède elle même: «Dans le temps, on se voyait. On pouvait perdre la tête, oublier ses promesses, risquer l’impossible, convaincre ceux qu’on adorait en embrassant, en s’accrochant à eux. Un regard pouvait changer tout. Mais avec cet appareil, ce qui est fini est fini.»

* * * * * *

Pour entourer cette partition emblématique du 20e siècle, Véronique Valdès propose un choix d’airs couvrant trois siècles de création lyrique. Des extraits d’opéras seria de Georg Friedrich Haendel, Antonio Vivaldi ou Nicola Porpora dialoguent avec des tangos d’Astor Piazzolla et des pièces plus romantiques de Richard Strauss ou de Francesco Paolo Tosti. C’est ici aussi la voix humaine qui est mise à l’honneur, de manière colorée et contrastée au fil des époques.

Yaël Hêche
www.communiquerlamusique.ch

**********************

Véronique Valdès, mezzo-soprano et Titta Carvelli, piano

C’est lors d’une représentation du Messie de Haendel, en 2017, que Titta Carvelli découvre l’interprétation de Véronique Valdès. Profondément touché par la couleur de sa voix et sa force expressive, il estime que «sa manière d’entrer dans la parole théâtrale est à la fois directe et émouvante». Dans ce même concert, Véronique Valdès remarque dans l’orchestre le jeu précis, sensible et généreux de Titta Carvelli : désormais le duo est né et, depuis, travaille extrêmement régulièrement. «Nos sensibilités musicales sont assez semblables, et en tout cas complémentaires, relève Véronique Valdès. Nous nous comprenons au point que parler n’est quasiment plus nécessaire. Cette entente rend notre travail plus libre, plaisant et plus riche également.»

Quant au trio avec Lyda Chen à l’alto, Véronique Valdès dit «se sentir complètement à la maison» quand elle chante avec elle ; la couleur de son jeu, certains traits de sa sensibilité musicale l’attirent particulièrement. Dans leur trio, la conversation voix-instruments se fait véritablement dialogue théâtral où émergent les émotions et sentiments suggérés par les compositeurs.

Lyda Chen-Argerich

Née à Genève, Lyda Chen-Argerich étudie le violon au Beijing Central Conservatory of Music (Pékin). Après son retour de Chine, elle entreprend un cursus académique et obtient une licence de droit à l’Université de Genève. Elle se consacre alors à l’alto et se produit dans diverses formations de musique de chambre dans de nombreux festivals. Elle est invitée à donner des master classes en Espagne, France, Amérique du Sud et à diriger des ensembles et orchestres en Chine et en France.

Thierry Pillon

Formé au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris et au Cour Florent (dont il fut, plus tard, professeur), et formé au chant lyrique au CNSAD, Thierry Pillon a également créé la compagnie L’éternel éphémère et a mis en scène de nombreux auteurs dont, parmi tant d’autres, Shakespeare, Racine, Genet, Maïakovski. Actuellement Directeur artistique des Art’Scènes à Nantes, professeur d’interprétation de l’Atelier lyrique de la Haute École de Musique de Lausanne et enseignant à l’École de Théâtre des Teintureries de Lausanne, il se produit dans le monde entier sur les scènes de théâtre et d’opéra et anime également des master classes.